
Intelligence artificielle
Au-delà des savoirs, comment agir ? Rencontre avec Yves Caseau
À partir de 2014 les investissements en intelligence artificielle deviennent considérables. Les fonds de Venture Capital investissent massivement. La diversité des sujets traités et le bouillonnement constaté traduisent-il une évolution ou une révolution ? Tous les algorithmes développés seront-ils la propriété des GAFA, des leaders de la nouvelle économie numérique, ou pourront-ils être développés et utilisés par toutes les entreprises quelle que soit leur taille ? Yves Caseau, DSI du Groupe Michelin et membre de l'académie des technologies, est co-auteur d'un rapport sur l'intelligence artificielle et nous donne son avis sur le sujet.
Rappelez-nous la diversité des sujets traités par l’IA
Merck, fabricant de vaccins, qui dispose d’un process complexe, va chercher à améliorer, avec le machine learning, la performance de ses équipements de production en dépassant l’optimisation traditionnelle qui porte sur chaque étape de la synthèse des médicaments prise individuellement pour travailler sur la chaîne prise cette fois dans son ensemble. Continental, une chaîne d’hôtels aux Etats Unis, abordait de manière classique la segmentation client, pour analyser le taux de churn et le taux d’appétence. Les nouvelles technologies leur permettent désormais de réaliser des segmentations ultra-fines avec des dizaines de milliers de segments, car elle a des millions de clients. Enfin, en imagerie médicale, des médecins se questionnent sur comment utiliser des images d’échocardiographies 2D pour calculer des données qui n’auraient pu être obtenues qu’à partir de modèles 3D, beaucoup plus complexes à obtenir.
Quels sont les points communs entre les approches de toutes ces entreprises ?
Tous ces projets ont une vision systémique en boucle. Ces entreprises utilisent des systèmes simples, parfois de simples analyses de corrélation, mais avec des millions de paramètres, des bases de données considérables collectées au fil du temps sont analysées en continu. Les analyses évoluent au fil de l’acquisition de nouvelles données. Pour faire des choses remarquables, cette approche dynamique est indispensable. Seconde règle ; activer une mise en partage de la collecte de données avec l’éco-système de l’entreprise : clients, partenaires, fournisseurs. C’est cette collecte de l’ensemble des paramètres potentiels, internes et externes, associée à une boucle systémique qui accélère la performance.
L'éco-système français est-il favorable au développement de l’IA ?
En France l’amont est performant, mais la compétence moyenne des entreprises à élaborer des systèmes distribués de grande taille est faible. La volonté de mettre entre les mains des entreprises et de leurs clients des services enrichis par l’IA reste aussi faible, limitée par trop de prudence. Hors c’est cette itération, ancrée sur des applications concrètes qui crée la performance. Enfin GDPR et CNIL ajoutent à ces freins un univers de contraintes additionnelles.

"Les analyses évoluent au fil de l’acquisition de nouvelles données. Pour faire des choses remarquables, cette approche dynamique est indispensable. Seconde règle ; activer une mise en partage de la collecte de données avec l’éco-système de l’entreprise : clients, partenaires, fournisseurs. C’est cette collecte de l’ensemble des paramètres potentiels, internes et externes, associée à une boucle systémique qui accélère la performance."
Comment cartographier les démarches d'intelligence artificielle car la boîte à outils est riche en solution ?
On doit segmenter en fonction de la quantité de données et de la nature de la question posée : distinguer une question précise pour répondre à une problématique donnée ou une question relative à une démarche exploratoire totalement ouverte. Selon la problématique et la démarche, il est nécessaire de jouer l’hybridation des méthodes.
Comment initier une démarche IA ?
Toute stratégie d’IA démarre par la collecte de données, en continu, l’étude d’algorithmes en open source, l’identification de briques logicielles et l’acquisition en interne de compétences. Il est essentiel de mettre en place des protocoles d’analyse permettant de gravir la courbe d’expérience de l’IA en constituant des “training sets”. Il n’ y a pas de méthode à importer de l’extérieur ; il faut être au coeur du métier pour bien analyser une situation. L’IA doit se construire à partir de données concrètes. Se faire aider par des experts, start up, universitaires est pertinent, mais la clé reste le pilotage internalisé de la démarche.
En quoi l’intelligence artificielle peut servir nos problématiques chez Bouygues Energies & Services ?
Pour Bouygues Energies & Services, un des points clés de l’IA est de permettre d’extraire la compétence métier à partir de la collecte de données, de reproduire les capacités d’analyse et d’anticipation de l’expérience des équipes, et de modéliser et revisiter les processus. Ainsi, les approches de “trouble shooting” peuvent répondre aux problématiques des clients de Bouygues Energies & Services. L’IA en tant que facilitateur de dialogue avec les clients, avec les chatbots même si ça reste difficile est un autre axe de recherche. Enfin les moteurs de recommandations adaptés à vos métiers pourraient améliorer la performance opérationnelle des équipes.